mardi 10 juin 2008

La gifle de mon père (février 1790)

Oui la gifle que je reçus à Nijni. Celle là précisément. Ce fut la seule gifle qu’il me donna au cours de mon existence mais je ne pourrai jamais l’oublier. Je crois même, en évoquant ce souvenir, ressentir le douloureux picotement qui brûlait ma pommette ce jour là. Mais cette douleur était douce en comparaison du reste.

De ce jour, mon père, qui n’était déjà pas prolixe à mon égard, refusa de m’adresser la moindre parole durant toute une longue semaine. Quelles horribles jours que ces jours là où pour cacher ma détresse je profitai des arrêts pour m’isoler derrière les arbres afin de laisser échapper les quelques sanglots trop longtemps retenus.





Je détestais mon père pour ce qu’il m’avait fait. Et pourtant, je ne pouvais m’empêcher d’éprouver un chagrin incommensurable à l’idée qu’il refusait dorénavant de me parler. En toute logique, je n’aurais dû témoigner que du mépris face à ce silence imposé. C’était le contraire qui se passait, plus je le détestais, plus j’étais malheureuse de son indifférence.

Je n’avais jamais été battue par mes parents jusqu’alors. Sauf une fois, où ma mère me donna le fouet pour une méchante bêtise que j’avais commise. Pourtant, le fouet, bien que plus violent et infligé à plusieurs reprises sur mon pauvre postérieur, me causa moins de meurtrissures que le coup bref et sec de la main de mon père contre ma joue.

Il faut dire que, contrairement au fouet, je ne m’y attendais pas. La surprise fut donc totale et intensifia le choc. Et puis la claque n’avait rien d’une caresse non plus : sous la violence du choc je tombai en arrière et m’écrasai dans la boue de tout mon long. « Père ! je ne comprends pas… » sanglotai-je alors en me ramassant sur moi-même.

-Ah ! Mademoiselle la sotte, vous ne comprenez pas ? L’église où vous deviez vous rendre se situe en face de notre auberge, il suffisait juste de faire trois pas pour s’abriter sous son porche, et vous ne comprenez pas pourquoi vous vous êtes perdue en chemin ? Vous n’êtes qu’une petite fille sans cervelle, une étourdie, qui a besoin de quelques corrections pour lui remettre les idées en place.

Je me souviens que les passants riaient de me voir ainsi humiliée publiquement au milieu de la rue. Ma belle robe était pleine de boue et ma ceinture ruban n’était plus qu’une queue de génisse toute crottée. J’aurais voulu mourir sur place tant j’avais honte. J’étais tétanisée, figée comme une pauvre chose sans vie noyé dans la fange. Je ne faisais que pleurer en implorant le pardon à mon père. Et les autres, tous ces mauvais badauds, ces vilaines gens inspirées par le diable, se moquaient de moi de plus belle.

J’eusse préféré recevoir cent gifles et cent coups de fouets plutôt que de subir une telle disgrâce. De ce moment, je compris que la douleur morale fait souvent plus souffrir que la douleur physique.



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