vendredi 9 mai 2008

Je suis morte en avril 1794

...Enfin, je crois. N'était-ce pas plutôt en mars? Ou en mai? C'est étrange, je me souviens exactement du moment et pourtant je suis incapable de préciser la date. Il faisait beau, ça je me souviens! Je venais d'avoir dix-sept ans et je pleurais faiblement en regardant la lumière du printemps pénétrer ma chambre. Ce dix-septième printemps que je ne verrais jamais serait mon linceul parfumé, le tombeau de mes espérances. Je sanglotais, silencieusement, en pensant à la vie dehors qui bourgeonnait de toute part ; la vie, cette belle vie qui jaillissait de la terre , des arbres et du ciel comme un volcan bruyant alors que mon corps périssait lentement et m'entraînait vers l'abîme.

Que c'est laid de mourir aussi jeune. Mais par dessus tout, que c'est désespérant de mourir au printemps.

Bon, j'arrête là ma nostalgie de petite sotte (que ne me l'a t-on dit que je n'étais qu'une petite sotte au cours de mon existence!) et je me présente. Je m'appelle, ou plutôt, je m'appelais (avant cette funeste journée où je mourus) Natacha Ivanovna Saltykov et je suis née à Kamenka, un charmant village au bord de la Volga dans l'Oblast de Nijni, en 1777. Voilà, maintenant que vous connaissez la fin et le début de ma vie, il ne me reste plus qu'à décrire ce qu'elle fut réellement.

Oh! je sais, certains d'entre vous pourraient penser qu'avec un nom pareil, ma famille possédait ses entrées à la cour et que mes oncles ou mon père soufflaient quotidiennement leurs judicieux conseils à l'oreille de la Tsarine. Mais il n'en était rien. En fait, la branche Saltykov où se perchait ma famille était de petite noblesse paysanne. Mon père n'était qu'un boyard sans grand revenu et il ne devait sa fortune récente, et par conséquent la mienne, qu'à la faveur d'une rencontre avec un aide de camp du Prince Grigori Potemkine, un certain Alexandre... Alexandre... zut! j'ai oublié son nom.

Enfin bref, ce fut grâce à cet Alexandre dont le nom m'échappe que mon père quitta notre basse cour pour s'envoler vers les contrées héroïques de la Crimée. Il revint de la guerre contre les Turcs avec une croix d'honneur pour avoir participé à la prise de la forteresse d'Otchakov; il revint aussi avec un oeil en moins et une maladie honteuse (mais bon, ne nous attardons pas sur les détails). Car, surtout, mon père s'était définitivement et adroitement attaché l'amitié de l'aide de camp du Prince Potemkine, Alexandre sais-plus-comment.

Plus que la croix d'honneur, cette affinité avec ce haut personnage signifiait que mon glorieux géniteur pouvait espérer l'entrebâillement d'une toute petite porte qui lui permettrait d'entrer à la cour impériale. Ce fut le cas. Et tout ce qui m'arriva par la suite découla de cet étroit passage et du goût commun que mon père et l'aide de camp du Prince entretenaient pour les filles volages, les fêtes arrosées et la grossièreté.






2 commentaires:

Anonyme a dit…

Privet
C'est très original et très beau ! bravo ! les dessins animés me plaisent beaucoup : etes-vous l'auteur ? vous êtes peut-être illustratrice ? je vous souhaite du succès !
Anicka

Journal d'une courtisane a dit…

Oh merci Anicka pour votre gentil message. Il m'est d'autant plus important que c'est le premier que je reçois.

Effectivement, c'est moi qui suis l'auteur des dessins animés. Ils me demandent énormément de temps en réalisation. Par conséquent, je ne publie pas aussi vite que je le souhaiterais.

Encore merci pour vos encouragements! Ils me vont droit au cœur. :))