mercredi 21 mai 2008

Le départ - 6e partie (février 1790)

Je vous racontais dans mon précédent message que ma mère m’avait coiffée ce matin là en trempant son peigne dans du vin. C’est une tradition de chez nous qui assure une bonne fertilité à la jeune fille. Vous saviez ? Oui je vous l’ai dit. Mais ça marche aussi avec du miel figurez-vous. Heureusement ma bonne maman a préféré le vin. Imaginez avec le miel, mes malheureux cheveux auraient été tout collants ! Berk ! Enfin bref.

Ce qui était effrayant dans ce cérémonial, c’est qu’habituellement il était réservé à un moment très précis de la vie d’une femme : celui où on préparait la fiancée pour son mariage, juste avant qu’elle ne se rende à l’église pour rejoindre son futur époux.

Je ne comprenais pas pourquoi maman brûlait ainsi les étapes. Je n’étais fiancée à personne et je ne me rendais pas à mon mariage nom d’une pipe ! Je n’osai pas lui demander car je voyais bien qu’elle était trop émue pour me répondre et moi j’étais trop bouleversée pour lui poser la question. Ce n’est que bien plus tard que je supposai que ma mère savait qu’elle ne pourrait jamais se rendre à mon futur mariage lorsque celui-ci serait décidé dans quelques années. La Russie c’est grand, trop grand et trop immense pour une pauvre petite maman sans moyen.

Lorsque je fus enfin prête, coiffée, parée et parfumée dans ma belle robe, je descendis dans la salle de séjour où je devais prendre le repas d’adieu. Mon père était là, attendant sa fille comme on attend une poignée de roubles avant de la placer dans une banque pour un investissement à long terme. Je n’eus pas la force de le regarder car même dans ma belle robe sarafan magnifiquement brodée, je devinai combien mon allure lui déplaisait. Voyez-vous, mon cher père s’imaginait me voir dans un costume à la mode européenne et pas habillée à la russe comme je l’étais alors. Moi, à cette époque, je n’avais jamais vue de robe européenne.

Dehors, les villageois avec le curé et ses ecclésiastiques en tête s’étaient regroupés devant notre isba. Toute la mir était présente pour me rendre hommage et saluer mon départ. Les nouvelles vont vite dans un petit village, vous savez.

Ma mère me coiffa de son kokochnik par-dessus mon fichu et me fit mettre ma chaude pelisse pour que je me présente auprès d’eux et que je reçoive la bénédiction du pope. Petite parenthèse pour vous expliquer ce que c'est un kokochnik. Un kokochnik est une parure féminine, une espèce de couronne si vous voulez, qui ne se porte que lors des cérémonies. Il y a en de toutes les formes et de toutes les couleurs. Elles se transmettent de mère en fille. Le petit croquis ici en bas est censé me représenter avec mon kokochnik sur la tête.

Bon c’est pas très fidèle à la réalité, c’est un mauvais dessin, je sais. Sauf peut-être que l’expression que j’adoptais devait ressembler à peu près à celle du dessin. Oui, il est un fait que je ne respirais pas la joyeuse humeur ce matin là lorsque je sortis afin de recevoir la bénédiction du curé. J’avais la tête des mauvais jours. Celle que je réserve pour les enterrements. Ben oui, c’était un enterrement. L’enterrement de mon enfance.




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