lundi 26 mai 2008

Vers Makaryev (février 1790)

Mon père était pressé, c’est peu de le dire. Soudain, lorsque la neuvième heure du jour sonna, il expédia tout son monde à la porte et balança son colis dans le sani.

Le colis, c’était moi et le sani c’est un grand traîneau tiré par deux, trois ou quatre chevaux. Pour l’occasion, n’en en avions deux. Et encore… le deuxième appartenait au curé qui avait eu la gentillesse de prêter le sien pour la circonstance. Quant au sani, il était tellement vieux et vermoulu que je craignais qu’il ne s’effondre sur mon propre poids. Ce traîneau appartenait déjà au père de mon père qui le tenait lui-même d’un lointain aïeule contemporain de Michel Fedorovitch. C’est pour vous dire qu’il avait déjà connu bien des hivers ce pauvre vieux traîneau.

Ma mère et mon frère me couvrirent de deux couvertures et de l’épaisse fourrure d’ours qui trônait dans la chambre de ma mère tel un trophée. Cette fourrure devait uniquement servir pour une grande occasion m’avait-elle dit un jour. Ben, la grande occasion était arrivée. Sapristi ! je l’avais rêvée autrement cette sacrée vilaine grande occasion.

Avec la fourrure, les couvertures, ma pelisse et un épais fichu sur la tête, je ne craignais pas le froid. Toutefois, je comprenais la hâte de mon père ; il voulait absolument arriver au monastère de Makaryev avant la nuit. La nuit, la température est franchement glaciale et pour peu qu’une tempête se lève, on se perd, on erre comme des âmes damnées dans les forêts insondables et on finit par se faire croquer par les loups.

Et hop ! A peine maman et mon cher petit frère eurent-ils le temps de m’embrasser une dernière fois que mon père fouettaient les chevaux m’entraînant ainsi inexorablement vers ma nouvelle vie. Tous les villageois saluèrent mon départ par des cris et des grands gestes d’affection. Mon frère et ma meilleure amie Tatiana s’élancèrent à ma poursuite en me souhaitant tout le bonheur du monde. Ils coururent derrière le traîneau pendant quelque temps, puis disparurent eux aussi dans l’immensité blanche.

Ma pauvre Tatiana adorée, dire qu’une semaine auparavant, nous nous étions disputée (une fois de plus -pourtant nous ne pouvions pas nous passer l’une de l’autre). Et moi, sale petite peste innommable, je lui avais finalement répondu des horreurs. Je lui avais dit… je n’ose l’écrire…

« Je dirai à ma mère qu’elle te vende à la foire de Makarayevo ! » Voilà ce que je lui avais dit.

Tatiana avait pâli. Elle savait bien que ma mère avait le droit de la vendre car le village possédait beaucoup trop d’enfants de serfs pour le nombre total d’habitants.

Je suis une fille méchante, colérique, orgueilleuse et d’une cruauté infinie. Je me déteste quand je suis ainsi. Alors je cours me cacher et je pleure. Puis, je reviens en suppliant le pardon à celui ou celle que j’ai offensé.

J’ai supplié Tatiana bien des fois. Elle était celle qui était la plus habituée à mes repentances.



Aucun commentaire: