vendredi 30 mai 2008

Je veux être maman (février 1790)

L’étape vers Nijni fut pour moi un véritable bouleversement. Je m’agitais sur mon siège sans raison, je tordais mes mains, je soupirais toutes les minutes sans raison apparente, je me grattais nerveusement les bras et les jambes comme si l’ensemble de mon corps était assailli par des millions de fourmis. Cette attitude, qui contrastait avec les jours précédents, ne manqua pas d’agacer mon père. Jusqu’ici je m’étais montrée aussi impassible qu’une statue et voilà qu’aujourd’hui je tourbillonnais comme un oiselet dans son nid devenu trop étroit.

Je n’osais pas adresser la parole à mon père. Il m’intimidait, je vous l’ai expliqué dans mon message précédent. Mais là, il y avait un tel bouillonnement dans mon âme que toutes mes préventions tombèrent les unes après les autres. Je devais savoir. C’était le seul moyen de retrouver la paix.

-Père, comment les femmes font-elles pour avoir des bébés ?

Cette question inattendue, d’autant plus inattendue que mon mutisme durait depuis trois jours, fit descendre un voile de surprise sur le visage de mon père qui, pour l’occasion, consentit à me regarder. Il répondit une sorte de grognement hostile avant de recentrer son attention sur la conduite du traîneau et de faire claquer son fouet. Je ne m’avouai pas vaincue et revins à la charge un peu plus tard, le temps de rassembler mes forces.

-Père, vous avez dit que j’étais une femme à présent. Mais une femme accomplie doit être mère. Comment puis-je le devenir ? Que faut-il que je fasse ?
-Il faudra que tu sois soumise à ton mari, répondit sèchement mon père en espérant sans doute que cette réponse suffirait à tarir mon impertinente curiosité.
-Est-ce alors une récompense de Dieu à l’égard de la femme obéissante ?
-Oui.
-Si je me montre obéissante en tout point aux commandements de Dieu et que je n’ai point de mari, pourrais-je néanmoins enfanter ?
-La peste soit des femelles bavardes ! rugit mon père avec lassitude. La chose n’est point faisable, il te faut un mari.
-Mais la Vierge Marie…
-Assez ! Il te faut un mari te dis-je !
-Mais pourquoi ?
-Pour qu’il puisse honorer ton corps par l’acte conjugal béni de Dieu… Et maintenant tais-toi, petite effrontée, stupide femelle impudente, ce n’est pas à moi de t’enseigner ces choses là mais à ta mère… Si du moins elle avait pris son devoir à cœur.

Les ténébreuses explications de mon père ne calmèrent pas l’agitation de mon esprit. Je revoyais le merveilleux visage du bébé que j’avais eu le bonheur de prendre dans mes bras ce matin là. Le frisson de la maternité m’avait touché comme une aube féerique. Le monde s’illuminait dorénavant avec des couleurs nouvelles et insoupçonnées. Etais-ce le monde qui changeait ou plutôt le regard que je lui portais qui changeait ? Vaste question…

-Père, murmurais-je au bout d’une longue réflexion, en quoi consiste l’acte conjugal ?

Aucun commentaire: