vendredi 23 mai 2008

Le départ - 8e partie (février 1790)

Après la bénédiction, mon père invita les ecclésiastiques et les délégués de la mir à partager notre repas matinal. Il fallait les entendre, ces hommes qui n’avaient jamais dépassé les rives de la Volga, comme ils étaient fiers de l’honneur qui m’était fait.

-Notre petite Natacha est touchée par la grâce.
-Saint Nicolas a remercié notre bonne petite Natacha pour ses bontés.
-Quelle joie indescriptible doit ressentir notre brave petite Natacha à cet instant !
-Que Notre Gracieuse Petite Mère prenne bien soin de notre bonne petite Natacha et la protège de Sa toute puissance.
-Notre bonne petite maîtresse va devenir une grande dame.
-Notre petite Natacha épousera t-elle un comte ?

Et patati et patata, notre petite Natacha par ci, notre petite Natacha par là… S’ils avaient su, ces grands niais barbus, comme elle s’en moquait de l’honneur qu’on lui faisait à leur petite Natacha.

La petite Natacha, si elle avait pu, elle leur aurait dit à tous d’aller se faire tirer les oreilles par les fées et de la laisser tranquille. La petite Natacha, elle voulait rester ici. Elle voulait se rouler dans la neige comme avant, respirer le parfum de la Volga, grimper dans les arbres et rêver d’être un oiseau, taquiner les garçons avec ses amies, voilà ce qu’elle voulait la petite Natacha !

Oh et puis c’était assez ! Ils étaient trop bêtes tous ces… tous ces gros veaux ! Je quittai la table sans avoir touché à mes blinis et me précipitait devant les icônes de la salle à manger afin de pouvoir leur faire mes adieux. J’en profitai pour essuyer quelques larmes rebelles avec mon mouchoir. Ma mère m’y rejoignit peu de temps après et me rassura.

-Elles seront toujours à tes côtés mon trésor. Aussi loin que tu puisses aller, ton esprit sera en communion avec elles.

Maman me parlait des icônes. Vous ne pouvez pas imaginer, vous les européens, comme elles sont importantes dans notre vie à nous, les Russes. Chez nous les icônes sont partout. Ce sont nos fidèles compagnes et où que vous alliez, même dans la plus misérable cabane des plus pauvres des serfs, il se trouve au moins une icône. Lorsqu’on rentre dans une demeure, on se doit d’abord de saluer les icônes avant de saluer l’habitant. C’est une question de respect pour celui qui nous reçoit. De notre baptême à notre mort, l’icône suit notre périple terrestre. Mon icône personnelle était celle de saint Nicolas. Je me serais fait tuée sur place, je le jure, plutôt que de m’en séparer. Je l’avais reçue à mon baptême et je comptais bien que l’on m’enterre avec elle une fois que Dieu eût jugé bon de me rappeler à lui.



Aucun commentaire: